Joshua revint complétement au moment présent, bien décidé à mettre temporairement son passé de côté. Sa famille avait besoin de lui, et il avait besoin d'elle. Aussi se leva-t-il pour rejoindre Ana et leur fille.

 Dans la nursery, Ana marchait en berçant la fillette.

 Joshua ne voyait pas le visage de son épouse mais il savait qu'elle souriait, apaisée par la présence de leur fille. Bien sûr, elle avait sûrement entendu la porte s'ouvrir et se fermer. Cependant, cela ne semblait pas l'avoir sorti de sa bulle.

 En vérité, malgré les apparences, Ana était encore émue par le récit de son mari, et même Lorena ne pouvait vraiment attirer son attention.

 - Ana, dit simplement le jeune père pour faire revenir sa femme à la réalité.

 Elle s'approcha alors de son mari, sa fille toujours dans ses bras.

- Ça va ? Je sais que je t'ai demandé beaucoup ce soir.

- Non, j'aurais dû t'en parler bien avant. Et oui, je vais bien, ajouta-t-il en souriant. Et tu sais pourquoi ? Je vous aime, toutes les deux, et c'est la seule chose qui compte.

 - Nous aussi. Pas vrai, Lore ?

- 'Pa ! répondit au hasard la fillette.

 Joshua sourit et observa sa fille. Tout ce qu'il avait voulu lorsqu'il avait dix-huit ans, tout ce qu'il avait désiré ardemment, était juste devant lui. Il ne comprit pas tout de suite ce qui se passa dans son esprit à ce moment-là. Et puis, tout s'éclaircit. C'était trop de bonheur pour une seule personne.

Alors, il prit sa fille et sa femme dans ses bras.

 - Je vous aime, répéta-t-il.

Ana ne dit rien ; elle connaissait cette lueur dans les yeux de Joshua puisqu'elle l'avait déjà vue dans son propre reflet.

 Un peu plus tard, ils descendirent diner tous ensemble.

 Ana était heureuse de parler de nouveau normalement à son mari et son sourire persista tout le long du repas.

Ce détail n'échappa pas à Joshua, qui fut troublé une fois encore par ce sourire si compliqué à obtenir. Exactement comme le soir de leur rencontre...

 Quand ils eurent terminé le dessert - une tarte maison préparée par la jeune femme -, Ana enleva sa fille de la chaise haute. Lorena, après son dernier biberon, montrait déjà des signes de fatigue.

 De son côté, Joshua rangeait vaisselle et nourriture.

 - Je vais lui mettre son pyjama et la coucher, annonça Ana.

- OK. Je vous rejoins.

 L'heure du coucher arriva vite pour Lorena. Heureusement pour ses parents, la fillette tombait de sommeil et ne lutta presque pas.

- Allez ma puce, c'est l'heure de dormir.

- Na ! résista faiblement la petite.

Mais elle lâcha la main d'Ana et son petit corps tomba doucement sur le matelas. Joshua entra à son tour dans la chambre.

 Ana se recula donc pour être aux côtés de  son mari. Ils observèrent ensuite leur fille.

- Elle est belle. Comme sa maman.

- Lorena te ressemble bien plus qu'à moi, répondit gentiment Ana.

- Pourtant, je te vois à travers ses expressions, son regard rêveur...

Ana baissa les yeux sur le sol et avoua :

- Moi, je retrouve ta malice dans ses yeux. Et ça me fait du bien.

La nuit se déroula calmement pour les Pilar ; tous trois dormirent d'un sommeil de plomb.

 Chez Lucia et Sandro, ce n'était pas tout à fait pareil. Lucia, persuadée de traverser une période sans grandes difficultés, dormait profondément.

Au contraire, le sommeil de Sandro était perturbé par un rêve étrange.

 Il ouvrit les yeux et découvrit sa petite amie de son côté du lit, comme d'habitude. Dehors, il faisait encore nuit.

Instinctivement, Sandro se leva et se rendit dans le jardin. Il sentait qu'il devait sortir afin de retrouver un être cher.

Ses pieds avançaient à présent dans une herbe fraiche et humide. Une brise timide vint éveiller davantage son corps et son esprit, tous deux engourdis.

- Sandro, souffla une voix familière, sais-tu qui je suis ?

Le jeune homme ne se rappela pas immédiatement à qui appartenait cette voix claire et douce. Cela faisait tellement longtemps qu'il ne l'avait entendue...

- Ema, murmura-t-il, secoué par une palette inédite d'émotions.

Il regarda partout autour de lui. Il n'y avait personne.

 - Tu me manques tant, dit alors la voix.

 - Tu me manques aussi. Chaque jour sans toi est difficile.

- Mais tu as Lucia, désormais.

La culpabilité naquit en Sandro, et il en eut le souffle coupé.

- Est-ce que tu m'en veux ? osa le jeune homme, maudissant cette question égoïste.

- Bien sûr que non. Je ne veux que ton bonheur.

 Sandro sourit et affirma :

 - Je t'aimerai toujours. Jamais tu ne quitteras mes pensées. Malgré tout ce que je pourrais faire à l'avenir, tu feras toujours parti de moi.

- Je t'aime aussi, et je connais ta loyauté. Mais sois juste heureux avec Lucia. Si vous voulez vous en sortir, il va falloir vous soutenir tous les deux. Tu me promets de tout faire pour vivre, mon cœur ?

 La voix, dont la provenance était toujours inconnue, semblait s'être approchée du jeune homme, comme si elle voulait lui susurrer à l'oreille.

- Je te le promets, dit le jeune homme.

La voix s'éloigna sans doute, car quand elle se fit à nouveau entendre, elle semblait plus lointaine.

- Alors, je peux m'en aller. Au revoir, Sandro Taneson, chuchota la voix avec tendresse. J'espère te revoir un jour.

Une dernière brise effleura la joue de Sandro et apaisa définitivement le côté le plus obscur de sa personnalité.

Le lendemain matin, il se rappelait très bien de son rêve. Et ce dernier lui permit non seulement de comprendre beaucoup de choses, mais aussi de vouloir aller de l'avant.

***

Deux mois plus tard...

 Ana jeta un oeil à son téléphone : il était huit heures, et une nouvelle journée commençait. Ce jour-là, Joshua ne travaillait pas et allait donc s'occuper de la petite pendant que sa femme irait régler des affaires à l'hôtel. Elle redoutait toujours de se séparer de sa fille, malgré le fait que Lorena avait déjà quatorze mois.

Celle-ci attendait patiemment dans son berceau l'arrivée d'un de ses parents, et elle accueillit sa maman avec un énorme sourire comme seul les enfants savent le faire.

- Maman ! s'écria Lorena lorsqu'Ana la prit dans ses bras.

- Bonjour ma chérie ! On dirait que tu as bien dormi.

Elle l'éleva alors au-dessus de sa tête, et elles rirent toutes les deux.

Cette enfant fournissait beaucoup de joie à Ana, et elle l'aimait de plus en plus chaque jour, comme si tout les rapprochait.

Au petit déjeuner, Joshua rassura une fois encore sa compagne : elle n'avait pas à s'inquiéter, ce n'était pas la première fois qu'il gardait sa fille tout seul. Ana sourit à ces mots et avoua qu'il avait raison, qu'elle s'en faisait trop. La jeune maman ajouta qu'elle avait toute confiance en lui mais qu'elle n'aimait pas se séparer de leur petit ange.

Un quart d'heure plus tard, Ana était en route pour son hôtel, en se disant qu'elle n'en avait pas pour très longtemps.

Pendant ce temps, Joshua décida d'exercer Lorena à la marche. La fillette avait beaucoup progressé ces dernières semaines, mais elle continuait parfois à éviter de marcher lorsque cela était possible. Aussi Joshua voulait-il l'encourager à se déplacer davantage sur ses deux jambes.

Bientôt, il se recula et l'appela dans le seul but de la faire marcher toute seule. Quelle fierté lorsqu'il la vit se lever sur ses deux jambes et trottiner maladroitement jusqu'à lui !

A chacun de ses petits exploits, il la félicitait gaiement.

Et Joshua retenta l'expérience plusieurs fois, trop satisfait de voir sa fille réussir.

Quant à la petit Lorena, elle prenait tout cela très au sérieux, mais souriait quand son père poussait des exclamations exagérées.

Après l'effort, le réconfort, et Joshua joua avec sa fille jusqu'à ce qu'il fût l'heure de l'emmener chez ses grands parents, où Ana devait le rejoindre. Après un déjeuner en famille dans la maison achetée un an plus tôt, Carola et Sebastian demandèrent à leur fille s'ils ne pouvaient pas garder leur petite fille quelques heures. Ana accepta, soucieuse de faire plaisir à ses parents, et Joshua et elle rentrèrent seuls à la Florale.

S'en suivit un après-midi dans la piscine pour le jeune couple, qui avait bien besoin de décompresser un peu.

Malheureusement, Joshua perdit un peu de dignité lorsqu'il laissa tomber un bouteille en préparant un verre à son épouse. Cette dernière ne se moqua pas de lui - ou presque - et l'aida à nettoyer les débris de verre.

Quand le soleil se coucha, ils récupèrent leur petite fille, qui fut ravie de retrouver sa chambre et tous ses jouets, comme en témoigne bien le cube envoyé de l'autre côté de la nursery après avoir délibérément refusé de rentrer dans le trou en forme de triangle.

Heureusement, le biberon redonnait toujours le moral à Lorena, qui détestait d'ores et déjà la défaite.

***

Après avoir lu une histoire à la fillette, Joshua lui baisa le front et éteint la lumière. Il avait hâte de retrouver sa femme.

Et cette soirée-là, ils la passèrent en amoureux.

*****

Pendant ce temps, Sandro et Lucia étaient sur une petite île. Le jeune homme, ce jour-là, était allé chercher sa petite amie à son travail et l'avait emmenée au restaurant, avant de l'entrainer dans un hors-bord loué. A leur arrivée, Sandro avait déposé des sacs de couchage et des sac-à-dos dans l'herbe. Lucia avait compris tout de suite qu'ils allaient passer la nuit à la belle étoile, et elle avait senti un sourire se dessiner sur son visage.

 Ensuite, Sandro avait ordonné à Lucia d'aller se reposer pendant qu'il allumait le feu. Ses mains tremblaient tant il était nerveux.

 Sa tache accomplie, il la rejoignit.

- Lucia, viens t’asseoir sur le banc, il faut que je te demande quelque chose...

- Pourquoi pas ici ?

Sandro paniqua.

- Lucia, s'il te plait.

La vérité était qu'il avait choisi cet endroit à l'avance. Il ne pouvait envisager de faire sa demande ailleurs, étrangement.

La belle rousse s'exécuta de bonne grâce.

Lorsqu'elle fût assise sur le fameux banc, il mit un genoux au sol et prit sa main dans les siennes. Lucia plaça une main devant sa bouche pour étouffer une exclamation de surprise. 

 - Lucia, tu m'as beaucoup apporté ces dernières années. D'abord, tu as été une amie fidèle et attentionnée, puis une petite amie patiente, aimante et généreuse. Je ne trouverai sûrement jamais les mots pour exprimer ma gratitude, mais je les trouverai pour te dire à quel point je t'aime et à quel point tu es importante pour moi. Ce soir, tu es bien plus que mon rayon de soleil. Tu es tout ce dont j'ai besoin, tout ce que j'ai tant espéré. Alors, je t'en prie, épouse-moi.

- Sandro, j'ai l'impression que mon cœur va s'arrêter. C'est trop de sentiments d'un seul coup.

- Quel genre de sentiments ? s'inquiéta Sandro.

- De l'amour. Du bonheur. Du soulagement, aussi. Et plein d'autres, que je n'arriverai pas à identifier.

- Alors, quelle est ta réponse ? demanda-t-il timidement.

- Oui, j'accepte de t'épouser. Bien sûr, que j'accepte ! Je serais stupide de ne pas le faire. Tu es beau, intelligent, sensible, avenant, alors pourquoi je dirais non ?

- Parce que j'ai fait des erreurs.

- Comme tout le monde. Je t'aime, Lisandro.

Puis, ils se levèrent pour s'enlacer, le cœur léger.

Après avoir mené Lucia plus près de l'eau,  Sandro lui chuchota :

- Tu sais quoi ? J'aimerais bien qu'on se marie tout de suite, juste tous les deux. On pourrait juste signer les papiers à la mairie et ne pas organiser de fête.

Lucia réfléchit. Quelques années plus tôt, elle aurait refusé, affirmant que la cérémonie était une chose incontournable pour un mariage. A présent, elle se moquait des traditions, des avis des autres. Elle avait traversé plusieurs mauvaises périodes et avait manqué de perdre son petit ami. Alors, ce soir-là, elle favorisa le moment présent. Sandro et elle avait attendu trop longtemps avant de pouvoir s'aimer librement.

- C'est drôle. C'est exactement ce que je veux.

Leurs mains se joignirent, mais ils ne prononcèrent aucun vœu. Du moins, aucun vœu oral. Pour une fois, ils parlèrent avec leurs yeux. Et les lueurs de ces derniers étincelaient bien plus que les étoiles, à ce moment-là.

Un peu plus tard, Lucia reprit la parole.

- Tu sais, moi aussi je dois te parler d'une chose importante.

- Ah oui ? Je t'écoute.

- Je... J'espère que ça te fera plaisir. Je... Je suis... Enceinte.

- Quoi ?

- Je suis enceinte, répéta la belle rousse. Je voulais te le dire avant, mais je craignais de gâcher la soirée et puis, tu m'as demandé en mariage, et je me suis dit que... Peut être tu ne serais pas fâché.

- Fâché ? Tu plaisantes ? Je suis vraiment content, je... C'est une merveilleuse nouvelle !

Il saisit ses mains et attira Lucia à lui.

- Tu ne pouvais pas me faire de plus beau cadeau.

- C'est vrai ? s'étonna la jeune femme.

- Je ne te mentirais jamais sur un sujet pareil.

- On va être parents, observa Lucia.

Ce fait lui parut aussi troublant qu'excitant.

- Oui. Et toi, ça te convient ?

- Il y a trois ans, j'aurais avorté, parce que j'étais une personne très différente. Mais vivre à tes côtés m'a beaucoup changé et, aujourd'hui, avoir un enfant en moi... Ça ne me fait plus peur. Ça me comble.

- Dans ce cas, tout va bien ?

- Oui. C'est toujours le cas quand je suis avec mon amoureux.

Enfin, ils s'embrassèrent. La passion qui les habitait les fit glisser au sol, sans toutefois faire cesser leurs baisers.

Et, tous les deux le savaient désormais : tout irait bien, puisqu'ils étaient ensemble.

 

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