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Episode 17 : Deux heureux événements.
- Je dois te parler de ce qui s'est passé... le soir de la mort d'Ema.
- Je t'écoute, dit simplement la belle rousse, après avoir essuyé ses larmes.
Malgré le sujet terrible que Sandro allait aborder, Lucia fut incapable de réprimer un sourire tant elle était heureuse d'entendre la voix grave mais néanmoins chaleureuse de son petit ami.
Sandro s'éloigna alors vers la baie vitrée, un sourire fixe et nostalgique sur les lèvres. Il prit ensuite une profonde inspiration, comme s'il comptait rester longtemps sans air, et replongea dans un univers où Ema existait encore.
- Ça s'est passé un soir d'été étouffant. A cette époque, on venait d'acheter une petite maison à Sunset Valley. On était ensemble depuis nos dix-sept ans, on s'aimait et on avait la vie devant nous... Mais bien sûr, entre elle et moi, c'était parfois compliqué. Il faut dire qu'Ema avait beaucoup de caractère, et que j'oubliais encore de réfléchir avant d'agir...
***
Sandro et Ema, qui se trouvaient dans le hall du premier étage, s'ignoraient mutuellement depuis deux bonnes minutes.
Soudain, Ema se retourna vers son mari et explosa :
- Comment as-tu osé jeter ce vase ? Tu savais qu'il me venait de ma grande tante Marie, que j'adorais !
Les plis du front de la brune prirent en profondeur.
- Ce vase était une horreur ! se défendit son mari. Je ne comprends pas pourquoi tu en fais toute une histoire.
- Tu n'aurais pas dû t'en débarrasser sans m'en aviser, lui reprocha Ema.
- Chérie, chuchota-t-il en s'approchant d'elle et en la regardant dans les yeux, charmeur.
- Non, dit-elle en le repoussant. Laisse-moi.
Et sur ces mots, elle s'élança jusqu'à l'escalier pour s'éloigner de Sandro. Puis, la brune s'arrêta devant les marches.
- Tu n'aurais pas dû, répéta Ema.
Il l'avait suivie et s'apprêtait à s'excuser mais Ema dévalait déjà l'escalier de bois.
L'univers sembla tout à coup ralentir sa course. Son pied manqua une marche et la jeune femme dégringola jusqu'en bas de l'escalier, arrivant finalement sur le dos.
Abasourdi, Sandro resta pétrifié une demi seconde avant de se précipiter vers sa femme et de vérifier si son cœur battait toujours.
Mais il n'entendit rien.
Il prit alors le buste inerte dans ses bras et chuchota, effondré :
- Non... C'est impossible... Non... Pas toi !
Il pencha ensuite sa tête sur son cou et se mit à pleurer.
C'était tellement injuste. Tellement absurde. Elle était si jeune !
Il repensa à leur premier baiser, à la première fois qu'il avait tenu sa main dans la sienne, au moment où il avait annoncé à Joshua qu'il voulait épouser Ema...
Et tout cela n'était plus, n'avait plus raison d'être et ce, par sa faute.
***
Lorsque Sandro eût terminé son récit, il attendit, dans un état second, la réaction de Lucia, qui ne tarda pas. Ainsi, la belle rousse se rapprocha de lui et prit son visage entre ses deux mains. Sandro posa alors sa main sur son bras droit, déjà submergé par la gratitude.
- Quand j'ai cru que j'allais te perdre, j'ai failli devenir folle. Je voulais hurler, exprimer mon angoisse, ma douleur, mais elles restaient en moi et s'amplifiaient sans discontinuer. Je ne pensais qu'à l'éventualité de ta mort, qu'à la perspective de vivre sans toi. Alors, je sais ce que tu ressens. Je connais ta peine, je connais ton supplice. Mais tu ne dois pas t'en vouloir toute une vie juste parce qu'un soir, tu t'es débarrassé d'un vase que tu jugeais inutile de garder. Personne n'aurait pu prévoir qu'Ema s'emporterait et chuterait dans l'escalier. Et personne n'est aussi généreux que toi. Alors je te supplie de te pardonner, de te reconstruire et de vivre. Pour tes proches et... pour moi. Parce que je t'aime et que je ne peux pas vivre dans un monde où tu n'existes pas. Je ne veux plus être obligée de penser à cela. Je veux passer ma vie près de toi.
- Tu m'aimes encore, même si Ema est morte par ma faute ? s'étonna Sandro.
- Ema est morte par un coup du sort, tu n'es pas fautif, tu n'as pas à culpabiliser. En revanche, si tu m'aimes un peu, fais en sorte que tes promesses se concrétisent. Ne t'en vas pas. Jamais.
- Bien sûr que je t'aime, Lucia. Plus que tout.
- Dans ce cas, promets-moi encore une fois que tu prendras un nouveau départ.
- Si tu restes à mes côtés, je te le promets.
Sur ces mots, Sandro attira Lucia à lui. Leurs lèvres s'unirent à nouveau, déterminant le centre de leur univers, et scellant la promesse de Sandro.
Et toute leurs peines s’effacèrent en une seconde.
***
Lorsqu'Ana rentra à la Florale, après son rendez-vous au spa, Joshua se précipita dans le hall d'entrée et insista pour "continuer à développer un lien avec le bébé".
Autrement dit, il passa un quart d'heure à gagatiser, tantôt en parlant au bébé, tantôt en se penchant sur le ventre légèrement rebondi avec un air niais. Ana essayait de relativiser ; au moins serait-il présent pour leur enfant.
Sans doute trop, songea-t-elle, amusée, en l'observant.
La future maman laissa donc faire son époux en riant, puis se laissa prendre en photographie devant la piscine sans opposer de résistance. En vérité, elle était bien trop heureuse de voir son mari sourire.
De plus, la perspective de porter un enfant en elle la transportait dans un monde différent, plus positif, où vivre semblait plus aisé. D'ailleurs, il lui semblait qu'elle entrainait Joshua avec elle, et rien ne pouvait la combler davantage.
***
Un peu plus tard dans la soirée, le couple se trouvait sur le canapé du salon, à parler de son avenir et de son enfant à naître.
- Si c'est une fille, je veux qu'on l'appelle Lorena. Je veux dire, je voudrais, se rattrapa Ana.
Joshua sourit, amusé par cette maladresse involontaire.
- J'aime beaucoup ce prénom. Mais si c'est un petit gars ?
- Alors on pourrait l'appeler Mateo. Qu'en dis-tu ?
- J'en dis que c'est très bien. Mais on pourrait chercher d'autres prénoms avant de...
- Oh, s'il te plait, ne cherchons pas plus loin. Si nous sommes d'accord, pourquoi s'embêter à faire une liste pour finalement nous prendre la tête ?
- C'est pas faux. Tu as sans doute raison.
- Comme toujours, se vanta la jeune femme.
- Chérie ? se lança son mari après un bref silence.
- Oui ?
- Tu n'as vraiment pas confiance en mon goût, au niveau des prénoms, n'est-ce pas ?
- Mon cœur, tu as appelé ton premier animal de compagnie Bacon.
- J'avais neuf ans ! se défendit-il.
- Mieux vaut prévenir que guérir, répondit Ana en souriant.
***
Un peu avant l'heure du diner, alors qu'Ana mettait des cookies au four, Joshua entra dans la cuisine vivement, après avoir été contacté par Lucia. La future maman se redressa donc pour s'entretenir avec lui.
- Ana, tu ne devineras jamais ce qui est arrivé !
- Sandro ? Sandro a réellement repris le dessus ? espéra-t-elle.
- Oui, exactement. Il veut s'en sortir !
- Oh, Joshua, c'est merveilleux, dit Ana simplement, incapable d'en dire plus.
Elle se jeta ensuite dans ses bras.
- Tout va s'arranger, maintenant, lui murmura Joshua.
La soirée se déroula très bien et le jeune couple s'endormit paisiblement, l'esprit rempli de promesses d'avenir...
***
Bien des mois plus tard...
Un beau soleil se leva ce jour-là sur Isla Paradiso, illuminant le ciel au point d'éclipser son bleu, et réveillant la belle Ana, qui s'extirpa péniblement des draps. En effet, son ventre s'était considérablement arrondi, au grand plaisir de Joshua.
Fatiguée et d'humeur bougonne, Ana se dirigea sans enthousiasme vers la douche.
Pourtant, une demi heure plus tard, cette mauvaise humeur matinale était déjà un lointain souvenir, et Joshua en profita pour lui demander :
- Comment vont les deux femmes de ma vie ?
- Bien. Le bébé bouge beaucoup. Si tu veux le sentir, c'est maintenant ou jamais.
Joshua posa une main sur le ventre joliment déformé et sentit effectivement un coup de pied vigoureux.
- Ouh, je crois que bébé veut sortir de là !
- On est deux, alors ! répondit Ana en riant.
- On la tiendra bientôt dans nos bras, sois-en sûre. On va prendre le petit déj' ? Je dois me dépêcher d'aller bosser.
C’est ainsi que, vingt minutes plus tard, Joshua quitta la Florale après avoir embrassé sa femme, qui finissait sa deuxième assiette de pancakes.
***
Et pendant que le futur père faisait son devoir, sa femme prit la voiture pour acheter les dernières choses qui manquaient au bébé.
Ensuite, elle rentra, monta dans la chambre de sa petite fille, rangea ses achats, et s'installa sur le rockingchair flambant neuf.
Ses pensées s'égarèrent alors et elle songea à la chance qu'elle avait. Elle avait résolu ses problèmes familiaux, s'était mariée avec l'homme le plus généreux au monde, avait des amis désormais presque aussi épanouis qu'elle et, très bientôt, elle aurait une petite fille.
Elle dut cependant cesser de rêvasser ; on sonnait à la porte. La jeune femme alla donc ouvrir avec peine, la grossesse la fatiguant de plus en plus.
Le visiteur n'était autre que Lucia, et cette dernière n'attendit pas l'autorisation de sa meilleure amie pour entrer. Les deux femmes s'enlacèrent pour se saluer.
- Eh ! Ton ventre a vraiment atteint une taille impressionnante !
Lucia qui, presque deux ans auparavant, avait déclaré qu'elle ne jouerait pas le rôle de baby-sitter des enfants d'Ana, se préoccupait à présent de savoir si la grossesse était difficile à gérer, si elle passait vite... A croire qu'elle désirait aussi tombait enceinte. En vérité, Ana avait de sérieux soupçons mais préférait attendre que son amie lui en parlât.
- Je sais, oui. On va se prendre un café dans la cuisine ? ajouta-t-elle en se séparant de Lucia.
- Excellente idée.
Cinq minutes plus tard, les deux femmes étaient assises à la table de la cuisine, Ana avec une tasse de tisane sans effet sur son bébé, et Lucia avec une tasse de café sucré.
- Comment va Sandro ? s'enquit la future maman en s'offrant une gorgée.
- De mieux en mieux. Autant les deux mois qu'il a passés au centre l'ont beaucoup aidé, autant il a l'air plus à l'aise chez moi. Enfin, je crois qu'il n'aime pas beaucoup la villa, il dit que le jardin est inexistant et que certains éléments de la maison sont trop modernes à son goût.
- Dans ce cas, faites refaire la maison, ou déménager. Allons, ne me fais pas tant languir, que dit son psy ?
Lucia sourit, emplie d'une soudaine mais douce chaleur.
- Il dit que Sandro a fait de grands progrès, qu'il semble presque entièrement apaisé et que tout laisse croire que sa mélancolie est passée. Il m'a aussi confié que Sandro tient beaucoup à moi et que ma présence lui est bénéfique.
- Évidemment, tu as toujours su rendre heureux ton entourage. Donc, oui, selon moi, ta présence lui a été bénéfique.
Lucia ne sut que répondre à ce compliment et, comme leurs tasses étaient vides, elles passèrent au salon et continuèrent leur discussion.
- Et je pense que la réciproque est vraie, reprit Ana. Toi tu attendais de rencontrer un homme prêt à tout sacrifier pour celle qu'il aime, tu attendais la preuve de l’existence de l'amour sans limite. De son côté, il avait besoin qu'on lui rappelle qui il était, que le bonheur est toujours à portée de main si on sait saisir sa chance. Tu as fait cela instinctivement, malgré tout ce qu'il avait pu dire. Et puis, je pense que votre couple durera. Après tout, tu sais ce qu'on dit, les opposés s'attirent.
- Oui, l'approuva Lucia, c'est vrai. Tu sais, avoua-t-elle, gênée, je l'aime comme je n'ai jamais aimé aucun homme. Il est beau, tendre, plein d'esprit. Mais je ne peux m'empêcher de me dire qu'il pourrait renouveler sa tentative.
- Il ne le fera pas, lui assura Ana avec bienveillance.
- Et pourquoi pas ?
- Car il t'aime trop pour cela. Si tu crois que je n'ai pas remarqué vos regards, vos sourires et les surnoms que vous vous donnez ! "Mon rayon de soleil, mon amour, mon cœur..." Vous êtes fous l'un de l'autre, ça saute aux yeux. Il ne pourra plus s'en aller, désormais. Il t'aime trop pour te blesser davantage.
- Je l'espère, Ana. Je l'espère vraiment.
- Nous nous sommes suffisamment étendues sur des sujets sombres pour aujourd'hui, Lucia Rey. Allons profiter de la vie !
- Tu es sûre que nous n'avons pas échangé nos personnalités ? s'inquiéta la rousse.
- Non, je te remplace juste le temps que tu chasses de ton esprit toutes tes craintes. Tiens, si on allait se baigner par exemple ? Je crois que tu avais laissé un maillot de bain ici, il y a quelques mois. Je vais le chercher et à nous la piscine !
- D'accord, conclut Lucia, soucieuse de continuer à se montrer enthousiaste malgré son angoisse permanente.
Ainsi, les deux demoiselles passèrent leur après midi tantôt dans l'eau, tantôt à bronzer, et ce après un repas improvisé.
Et lorsque cet après-midi prit fin, Joshua rentra, accompagné de Sandro, qu'il avait invité. Ils retrouvèrent ensuite Ana et Lucia près de la piscine, encore en maillot.
Et, contrairement à presque deux ans auparavant, il n'y eut aucune querelle au sein du groupe. Plus qu'une bande d'amis, ils étaient devenus inséparables, unis par l'amour, l'affection et l'épreuve terrible qu'ils avaient surmonté.
Ensemble.
D'ailleurs, ce soir-là, Sandro ne se moqua pas de Lucia. Après avoir pris Ana dans ses bras et lui avoir demandé comment se portait bébé, il embrassa sa petite amie avec tendresse, tandis que l'autre couple échangeait des mots doux.
Une heure plus tard, alors que Lucia et Sandro préparaient le pique-nique dans la cuisine, Joshua fit une nouvelle fois du bébé sa préoccupation première et ne cessa de s'adresser au fœtus comme s'il était déjà né. Il déposa même un baiser sur le ventre d'Ana, ce qui la toucha plus qu'elle n'aurait pu l'imaginer.
A vingt-et-une heures, le diner les attendait et chacun savoura ces instants d'entente et de convivialité.
Une surprise attendait pourtant les quatre adultes. En effet, alors que tout le monde discutait après le repas, le bébé fit annoncer son arrivée en grande pompe :
- Ahhh ! gémit Ana en ramenant ses mains sur son ventre.
Tels deux jumeaux, les hommes s’affolèrent devant la surprise faite par le bébé.
Heureusement, Lucia garda son calme et rappela au futur père :
- Joshua, il faut qu'on aille à l'hôpital. D'abord, va chercher son sac. Sandro, va sortir la voiture d'Ana. Moi, je vais l'aider à s'asseoir.
- Bonne idée, renchérit Ana.
Puis, une nouvelle contraction la secoua, lui interdisant de parler.
La bande d'amis partit donc de toute urgence à l'hôpital de la ville.
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