Note de l'auteur :

Beaucoup de gens disent qu'il y a eu un avant et un après dans leur vie. Et parmi ces gens, certains se souviennent parfaitement du jour de la naissance de leur enfant, ou du moins, de l'instant où ils ont tenu pour la première fois cette esquisse d'être humain, cette petite chose qui prenait enfin vie après neuf mois d'attente. On dit aussi que lorsqu'une mère a, pour la première fois, son enfant sur elle, tout s'évanouit pour laisser place à toute une palette d'émotions. On dit que plus rien n'a d'importance sauf cet être aussi robuste que fragile, aussi étonnant que bouleversant.

On dit que donner la vie donne du sens à celle-ci.

Eh bien, vous savez quoi ? Ce n'est certainement pas moi, Joshua ou Ana qui diront le contraire.

Je vous laisse à présent profiter de ce nouvel épisode.

*****

Aux alentours de quatre heures du matin, la petite Lorena vit le jour.

Et ce fut la première fois qu'Ana vît pleurer son mari. Elle joignit alors ses larmes aux siennes, envahie, engloutie par le bonheur, le soulagement, et l'émotion.

Après que la jeune maman se fût reposée, Joshua prit le petit être dans ses bras et vint s'allonger près de son épouse, en prenant garde de bien tenir sa fille. Ils restèrent alors là pendant des heures à observer les yeux clos du nourrisson, son petit nez, sa bouche très fine, ses mains minuscules. Les yeux inexorablement attirés par leur enfant tant désiré, ni l'un ni l'autre ne put détourner le regard de ce présent de la vie, même lorsque Sandro et Lucia vinrent voir le nouveau né et féliciter les deux parents.

*****

Une semaine plus tard, vers quatre heures du matin...

- Joshua, demanda la jeune femme d'une voix ensommeillée, tu n'entends pas un bruit étrange ?

- Hum... Je n'entends que la voix dans ma tête qui me dit : "Rendors-toi".

- Mais j'ai le pressentiment que c'est important...

Ils réalisèrent simultanément de qui provenait le "bruit" et ouvrirent les yeux.

- Et merde, lâchèrent les nouveaux parents en chœur.

- On est déjà des parents indignes, soupira Ana.

- Ouais. Bon, j'y vais, il faut que tu te reposes, dit-il  en se levant.

- Merci mon cœur. Fais attention à ne pas la laisser tomber, ajouta la jeune maman avant de se rendormir.

- Aucun risque.

Joshua se leva donc et se hâta vers la chambre du nourrisson. Dans le couloir qui séparait les deux chambres, il vit vaguement la pluie à travers la fenêtre et admira le portrait d'Ana qui avait été pris le jour de leur mariage. Joshua sourit et songea au bonheur qu'il avait ressenti ce jour-là.

Puis, il franchit la porte en bois.

 En entrant dans la pièce, il fut distrait un instant par le souvenir du soir où il avait offert à Ana le berceau, qu'il avait depuis repeint lui-même.

Pourtant, il reporta son attention sur sa fille. Et, dès qu'il la vit, le reste du monde s'effaça, comme c'était toujours le cas depuis sa naissance. L'enfant se mit à pleurer, remuant vivement ses petits bras, aussi Joshua la prit-il précautionneusement dans ses bras. En effet, il s'était rapidement rendu compte à quel point elle était fragile.

Il entreprit alors de la cajoler avant d'aller lui préparer son biberon, qu'il lui donna en souriant devant ses yeux calmes.

La minuscule Lorena absorba presque tout le lait, ce qui ravit Joshua.

Ensuite, comme la bercer contre lui ne semblait pas l'endormir, il décida d'essayer le rocking-chair.

Et tout en basculant doucement, Joshua se dit que le moment où la maison ne serait plus silencieuse et vide était venu. Une multitude d'émotions positives l'envahit à cette pensée.

Cependant, son visage resta fermé, indifférent.

Ni ses parents, ni sa sœur n'étaient encore en vie pour les voir, lui et sa fille, basculant inexorablement, tranquillement, toujours de la même manière.

Le jeune père songea que la justice et l'enfance s'étaient bien moqués de lui.

****

 En milieu de matinée, Sandro et Lucia venaient d'arriver à l'ancienne demeure de celui-ci.

 La jeune femme, en revoyant son petit ami étendu sur le carrelage, ne put cacher longtemps le fait qu'elle était mal à l'aise dans cette pièce.

- Sandro, je... J'ai l'impression de suffoquer ici. Je ne comprends toujours pas pourquoi tu n'as pas vendu ce bateau et...

- Si tu veux savoir, je vais te le dire...

- Je t'ai vu agoniser sur ce sol, l'interrompit-elle, implacable.

- C'est ici, dans ce canapé, que nous nous sommes embrassés des heures durant. C'est sur la terrasse qu'a eu lieu notre premier baiser. C'est ici que se sont déroulés les plus beaux moments de ma vie depuis que je te connais. Pour moi, cet endroit symbolisera toujours ma tentative de m'en sortir, pas l'échec qui a eu lieu ensuite. Alors, si tu ne supportes plus cet endroit, je ne te forcerai pas à y venir. Mais, au moins, je veux le garder pour me souvenir. Pour me souvenir que tout le bonheur que je ressens et ressentirai est possible grâce à ton intervention dans ma vie.

Lucia ne sut que répondre à cela et se contenta de détourner son regard vert.

Sandro s'empara de ses mains et murmura :

- De toute façon, on est pas obligés de rester dans cette pièce. La chambre est très sympathique...

La rousse sursauta à ce sous-entendu et afficha un sourire timide.

- Tu veux qu'on... commença-t-elle.

- Oui, souffla-t-il. Seulement si tu te sens prête aussi.

- Tu es sûre que ne le regretteras pas ? Je veux dire, étant donné la situation, ce...

Le désir prit le dessus et Sandro ne put éviter l'union de leurs lèvres. Laissant de côté toute retenue et tout bon sens, ils furent entrainés par un tourbillon de sensations.

Aussi, très vite, le brun saisit Lucia dans ses bras pour la mener jusqu'au lit, lit sur lequel il la déposa.

 Les vêtements valsèrent aux quatre coins de la pièce, leurs mains impatientes s'agitèrent de plus en plus vite, et leurs deux corps ne firent plus qu'un pour la première fois.

*****

 Pendant ce temps, Ana émargeait enfin du sommeil. La jeune maman se glissa silencieusement hors du lit et se dirigea vers la commode sur la pointe des pieds. Après avoir enfilé rapidement une tunique et un pantalon, elle quitta la chambre au profit de la nursery, impatiente de voir son bébé.

 L'enfant était là, tranquillement allongée dans son berceau, mais les yeux bien ouverts. Ana en profita et la sortit du lit.

La jeune femme, en serrant sa fille contre elle, se dit qu'elle n'avait plus de doutes quant au fait d'être une mère. C'était ce qu'elle avait secrètement toujours rêvé d'être, sans se l'avouer véritablement. Et maintenant que Lorena vivait grâce à elle, la jeune mère se sentait prête à tout sacrifier pour son petit ange, pour celle qui la motivait désormais quand elle se sentait assaillie par la fatigue ou par la douleur.

- Je t'aime tellement ma chérie, chuchota Ana. Tellement que ça me fait mal. J'espère qu'un jour tu ressentiras cet amour d'une puissance incroyable, ce sentiment qui semble dire : "qu'importent les difficultés, les peines, tout ira bien. Tout ira bien car il le faudra. Il le faudra puisqu'il faut protéger ceux qu'on aime." N'oublie jamais, ma jolie Lorena Pilar, que tu as été aimée et désirée dès le tout début.

 Ana dut se charger ensuite de taches diverses propres aux mères, jonglant entre couches et biberons.

Quand elle eût fini tout cela, elle assit sa fille dans la balancelle avant de jouer quelques minutes avec elle. L'enfant esquissa même quelques sourires.

*****

A midi, les deux amants étaient toujours en train de flâner au lit, trop paresseux et engourdis. pour se lever.

- Hum... Je me sens si bien pour l'instant, avoua Lucia en balançant ses jambes. Comme sur un nuage.

- Moi aussi je me sens bien. Mieux que jamais. Je crois que le ciel pourrait tomber sur nous, ça ne me dérangerait pas plus que ça.

La rousse rit.

- Tu crois ça ?

- Bien sûr. Je n'arriverais même pas à détacher les yeux de ton corps de déesse.

Lucia rit de plus belle.

- Beau parleur, va. Quand je pense que tu m'as traitée de grosse !

- C'était il y a presque deux ans ! se défendit-il.

- N'empêche, tu pourrais te faire pardonner.

- Oh, voilà le but de cette discussion, dit Sandro avec malice. Me faire croire que j'ai une dette envers toi pour me corrompre. C'est du joli, mademoiselle.

Sans ajouter un mot, Lucia s'accapara ses lèvres.

- Je sais, lui répondit-elle plus tard, entre deux baisers langoureux.

*****

A la Florale, aux alentours de treize heures...

...Les heureux parents décidèrent de prendre une photo de famille au bord du petit lac.

 Bien plus tard, en fin d'après-midi, Joshua alla chercher sa fille dans sa chambre, désireux de lui faire prendre un peu d'air frais après la sieste qu'elle venait de faire. Il réveilla donc le nouveau né en douceur.

Puis, il se rendit sur la terrasse, profitant simplement de sa fille, du soleil et de l'air qui sentait bon l'été perpétuel de la petite île. Plongé dans ses pensées, Joshua ne se rendit pas compte que quelqu'un approchait.

Il finit par voir ses beaux-parents arriver et se leva de sa chaise pour les accueillir. Immédiatement, les deux invités observèrent le bébé avec attention et émotion, cherchant à voir à qui elle ressemblait le plus.

- Eh, quelle bonne surprise ! Ana, tes parents sont là, cria-t-il.

Celle-ci, depuis la cuisine, répondit, étonnée :

- Quoi ? Attends, j'arrive.

Pendant qu'Ana quittait la cuisine, Joshua décida de rompre le silence engendré par l'émotion de ses beaux-parents, qui voyaient le bébé pour la première fois en personne.

- Je sais, Lorena vous ressemble un peu, Carola. Elle a aussi un très beau sourire, comme sa maman.

- Elle est magnifique, dit simplement la femme brune avec une émotion mal contenue. Ça me rappelle le jour de la naissance d'Ana... C'est incroyable... Incroyable que tout ce temps soit passé et qu'elle soit mère à son tour.

La jeune maman apparut sur la terrasse, écoutant les propos nostalgiques de sa mère.

- Arrête maman. Tu vas me faire pleurer.

Et Ana s'élança dans ses bras.

- Je suis très fière de toi, mon cœur. Lorena est vraiment adorable.

- Et moi je suis fière qu'on soit tous réunis ce soir, comme une vraie famille. Même si j'ai toujours eu une famille dont je pouvais être fière.

Joshua et Sebastian assistèrent à ces retrouvailles en souriant, ressentant le même bonheur. Le bonheur de voir mère et fille enfin réunies, unies à jamais par l'amour et la gratitude mutuelle.

- Désolée de ne pas avoir pu venir plus tôt. Sebastian avait attrapé un vilain rhume et j'avais une tonne de choses à faire, je t'expliquerai pourquoi tout à l'heure.

- Les aléas d'un climat comme celui de Sunset, que veux-tu, s'amusa Ana. Sinon, tu m'intrigues. Est-ce qu'il y a un souci ?

- Non, absolument pas, la rassura Carola. Va donc saluer ton père.

Ana s'aperçut alors que son mari et son père en avaient profiter pour discuter quelque peu du bébé.

- Elle fait bien ses nuits ? s'enquit Sebastian.

- Assez bien, je dois dire. Ce qui est un soulagement, vu qu'Ana et moi avons le sommeil lourd.

Ana les interrompit pour serrer son père dans ses bras.

- Salut papa. Je suis contente de vous voir tous les deux ici. Qu'est-ce que tu penses de ma fille ?

- Je pense qu'elle a beaucoup de chance de t'avoir. Comme nous tous.

Ana sourit encore plus, touchée.

- C'est moi qui suis chanceuse.

Un peu plus tard, Joshua emmena Lorena pour une promenade en poussette, ravi de la tournure que prenaient les événements. A ce moment-là, alors que le soleil se couchait et que les autres parlaient sur la terrasse, il était sincèrement et profondément heureux. Et même si sa propre famille n'était pas avec lui, il savait qu'elle vivait toujours.

Ses parents et Ema vivaient encore à travers sa mémoire, son nom de famille, ses choix, l'amour qu'il leur portait et à présent, à travers Lorena Carola Rosalina Pilar. Sa fille portait en effet les prénoms de ses deux grands-mères.

Le jeune homme sortit de sa rêverie et sourit, voyant Lorena s'agiter gaiement dans la poussette.

Pendant ce temps, sur la terrasse...

- Papa, qu'est-ce que tu fais ? demanda Ana en voyant son père pianoter sur son téléphone.

- Ben j'envoie à tous mes amis une photo de Lorena, pourquoi ?

Ana croisa le regard de sa mère et sourit. Avant le départ de Joshua, Sebastian avait aveuglé le bébé en prenant des dizaines de photographies...

- D'accord. Maman, tu ne m'avais pas dit que mon père serait un grand-père poule.

- C'était prévisible, mon cœur. Il t'a toujours adoré.

- Je suis toujours là, les filles, rappela Sebastian.

- On sait, répondirent mère et fille en chœur. 

- Bref, maman, qu'est-ce qui te prend tant de temps en ce moment ? Tu ne m'as toujours pas dit.

- Eh bien, c'est une grande nouvelle, j'espère qu'elle te fera plaisir. Sebastian et moi, on a remarqué une petite maison tout près d'ici avec un panneau "en vente".

- Mais quand ça ?

- Quand on retournait sur le continent pour prendre un avion et rentrer à Sunset. Tu sais, lorsqu’on est venu ici il y a 5 mois... Toujours est-il qu'on l'a trouvée charmante, et qu'on a noté le numéro de téléphone qui se trouvait sur la pancarte. De retour à la maison, j'ai composé le numéro et j'ai demandé si on pouvait visiter. On m'a dit que oui. Quand on est venu vous voir, il y a 4 mois, on en a profité pour examiner l'intérieur de la maison. C'est peu spacieux mais sympa, et il y a même une petite chambre supplémentaire pour accueillir un enfant. Bref, on a fait une offre, signé les papiers, vendu la maison de Sunset et emménagé ici cet après-midi. Tous les meubles sont déjà arrivés.

- Quoi ? s'exclama Ana. Mais vous adoriez la maison et Sunset !

- Mais j'adore bien plus encore ma fille, son mari et ma petite fille. Je voulais la voir grandir et s'épanouir. Et aussi rattraper tout le temps qu'on a perdu, tous les trois.

- Maman, tu n'imagines pas à quel point ça me touche et à quel point je suis heureuse. Merci. Pour tout.

Sur ce, Ana tendit sa main à sa mère, qui la prit et la serra très fort.

- Dans ce cas, je suis très heureuse également.

Joshua revint bientôt sur la terrasse et joua avec le bébé pendant que les autres se remémoraient le passé.

- Vous êtes sûre que Sunset ne vous manquera pas ? insista Ana.

- Non, bien que sûr que non, répondit Sebastian. Vous êtes bien plus importants.

- Dans ce cas, autant l'annoncer à Joshua. Chéri, mes parents ont emménagé dans une petite maison juste à côté.

- Quoi ? Mais quand ça ?

- Aujourd'hui, dit Ana en souriant à sa mère.

- C'est super, on pourra se voir plus souvent comme ça. Et Lorena pourra mieux connaitre sa famille.

- Oui, exactement. Bon, est-ce que je peux tenir ma petite fille, maintenant ? s'impatienta Carola.

Joshua lui passa l'enfant, et on forma un cercle autour d'elle.

Puis, chacun regarda Carola serrer Lorena contre son épaule. Ana en fut particulièrement émue.

- Bienvenue dans ce monde, ma puce, dit la femme brune. C'est un monde dur, hostile et plein d'embûches, mais tes parents et tes grands-parents seront toujours là pour t'épauler, te conseiller et te protéger.

Ana demanda ensuite à sa mère si elle souhaiter l'aider à s'occuper du bébé. Carola accepta de bonne grâce, et elles montèrent à l'étage après avoir préparé le biberon.

Sans un mot, Ana observa alors sa mère nourrir sa fille, puis la bercer avec douceur et enfin la coucher.

Carola, en se redressant, vit des larmes briller dans les yeux de sa fille.

Cette dernière se jeta à nouveau dans ses bras, consciente que sa mère ne la quitterait plus jamais.

- Je t'aime.

- Moi aussi, mon cœur. Pour toujours.

Dehors, les deux hommes continuaient à apprendre à se connaitre, même s'ils se connaissaient depuis longtemps à présent. Joshua proposa même à son beau père de faire du freesby.

- C'est pas facile une femme enceinte, hein ? demanda Sebastian.

- Eh non ! Mais Ana a été merveilleuse à bien des égards. Toujours à s'inquiéter pour le bébé, à penser à ce qui serait le mieux pour lui...

- Elle n'a pas été la seule, d'après ce qu'elle m'a dit au téléphone.

Le jeune homme s'esclaffa.

- Non, c'est vrai.

- Je suis content que vous soyez mon gendre, Joshua. Vous êtes un gars bien.

- Et je suis content de vous avoir comme beau-père. On s'entend mieux que je n'aurais jamais pu l'imaginer.

- Ce sont les grandes surprises de la vie...

Et tandis que Lorena sombrait profondément dans le sommeil...

... D'autres appréciaient la chaleur du bain à remous.

- Ce soir, je suis comblée, déclara Ana. Merci, Maman.

- Pourquoi ?

- De m'avoir donné la vie. Sans toi, je ne serais pas là.

- Ne me remercie pas. Tu as changé à jamais mon existence, et pour le meilleur.

*****

Ce soir-là, après un diner léger, les parents d'Ana rentrèrent chez eux...

Et la maisonnée put enfin se nicher au creux des bras de Morphée.

 

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