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Episode 21 : Un hiver chaleureux.
Dix ans auparavant...
Je m'appelle Joshua Pilar, et j'ai dix-huit ans. Je suis quelqu’un d'ordinaire, qui vit comme il l'entend, sans se soucier de l'avenir. Pour l'instant, je n'ai pas vécu de grands drames, et je dois dire que je suis chanceux de ce point de vue-là.
Cependant, il y a quelques temps, j'ai commencé à m'inquiéter de la manière dont je vis.
Ce jour-là, donc, nous étions tous réunis dans le chalet de Sunset afin de passer ensemble les vacances de Noël. Maman était très contente de tous nous avoir avec elle, elle disait souvent que "Noël, les enfants, est une fête familiale. Et puis, c'est le seul jour de l'année où on met nos soucis et rancœurs de côté.". Comme vous pouvez le voir, ma mère aime que les choses aillent comme elle le désire. Même si c'est la mère la plus attentionnée au monde.
Bref, comme je le disais avant de me perdre dans les détails, ce jour-là, dans le chalet des Pilar, je me suis réveillé bien trop tôt à mon goût. Six heures du matin. Allongé sur le ventre, après avoir allumé la lampe de chevet, j'ai tout de suite remarqué que Sandro, mon meilleur ami, n'était pas dans le lit qu'on avait acheté exprès pour lui. Mais où était-il encore fourré, celui-là ?
Lui et moi, on se connait depuis... Je ne me rappelle plus, en fait. C'est jute trop loin, trop enfoui dans ma mémoire. Toujours est-il que ce gars est super. Comme moi, il ne réfléchit pas beaucoup à l'impact de ses choix sur sa vie. En revanche, c'est un peintre déjà reconnu. Ses œuvres sont incroyables, il ne fait jamais dans l'abstrait et il est déjà engagé dans bien des combats. C'est aussi quelqu'un de nostalgique, qui regrette le temps qui passe. Il dit souvent qu'on a pas assez d'une vie pour tout voir et tout comprendre.
Lisandro Taneson est comme ça, étrange et pensif, mais c'est le seul ami dont je ne pourrais pas me passer. Et c'est bien pour cela que, baillant et grommelant, je me suis lancé à sa recherche.
Et comme je n'étais pas bien réveillé, j'ai eu l'idée la plus stupide qui soit : aller demander à ma sœur, sa petite amie, si elle savait où il était. Grossière erreur. Je suis donc sorti de ma chambre et me suis retrouvé dans la salle du palier. Petite et carrée, seuls un canapé et une plante verte la meublaient. Sans frapper à la porte, idiot que je suis, je suis alors rentré dans la chambre de ma petite sœur, âgée dix-sept ans.
Et croyez-moi, je n'ai pas été déçu de voyage. Sandro en caleçon et Ema en déshabillé trop déshabillé à mon goût, ils s'embrassaient avec passion, un peu à l'étroit sur le lit à une place. Oh mon dieu, rien que d'y repenser... J'ai envie de recracher mon petit déjeuner.
Apparemment, ils espéraient bien que je m'en aille rapidement et sans demander mon reste, puisqu'aucun des deux n'a daigné lever les yeux et cesser ces baisers répugnants.
Quel culot ! Me faire ça à moi, qui avais très bien pris la nouvelle, quelques mois plus tôt, de leur amour l'un pour l'autre ! Quand je pense que j'avais à peine défiguré Sandro !
Ma petite sœur, que je croyais si innocente et si douce, ronchonna :
- Bon, Joshua, tu comptes dégager un jour ou t'installer là ? On est occupé au cas où t'aurais pas remarqué.
- Eh, me parle pas mal ! C'est pas moi qui embrasse ton meilleur ami !
- Mais est-ce que tu vas nous laisser un jour en paix et oublier cette histoire ! Qu'est-ce qu'on y peut, nous, si on s'aime ?
Et oui, c'était reparti. Une nouvelle dispute. Sandro est alors intervenu.
- Who, calmez-vous tous les deux ! Josh, tu sors, t'es gentil, on se voit plus tard.
- Mais...
Après avoir évité un oreiller envoyé par Ema, j'ai jugé préférable de quitter la chambre.
Adossé à la porte en bois, je me suis demandé à quel moment ma sœur était devenue une femme. Je me souvenais encore très bien de ses couettes, de son air enfantin et espiègle, de son entrée en collège...
Et, encore aujourd'hui, je me demande où s'en vont les années...
Malgré cette tendresse soudaine et ce sentiment d’indignation qui m'habitaient, j'ai senti poindre un autre sentiment... La jalousie.
Je n'ai jamais aimé. Je suis sorti avec bien des filles, mais aucune n'a remué en moi des sentiments aussi puissants qu'inconnus... Et eux, Ema et Sandro, ils s'aimaient comme des fous, comme des gens qui pensaient mourir dans la minute.
Oui, je les enviais. Un peu. Beaucoup. Plus que je ne pourrais jamais l'avouer.
Je suis donc retourné dans ma chambre, où j'ai regardé par la fenêtre. Le jour commençait à se lever dehors. La neige était partout, sur chaque branche, sur chaque objet extérieur.
Après un détour par la salle de bain, je me suis habillé et installé devant mon ordinateur portable. Pour oublier ce que j'avais vu, j'ai décidé de démarrer un jeu, histoire de ne pas devenir hystérique.
Plus tard, ma mère a crié, sans doute du hall d'entrée :
- Josh, Ema, Sandro ! C'est l'heure du petit déjeuner !
Je me suis donc levé, j'ai éteint le jeu et je me suis rendu dans la salle à manger, où tout le monde était déjà installé.
Autour de la table, il n'y avait que des gens que j'aime, réunis pour ce que ma mère appelle le petit déjeuner. Pourtant, je suis le seul à manger le matin. Les filles boivent du thé, les autres du café, et moi je savoure parfois avec mon breuvage favori quelques douceurs. C'est d'ailleurs pour cela que ma mère avait glissé des cookies à côté de ma tasse... Ma mère... Toujours aussi prévenante. Quoi qu'il en soit, mon père et Sandro avait d'ores et déjà vidé leurs tasses à mon arrivée.
Au fond, près de la fenêtre, il y avait donc mes parents, qui avaient tout sacrifié pour Ema et moi : rêves, désirs et passions. Mais jamais ils ne s'en plaignent ; ils l'ont fait de bonne grâce.
Mon père, Juan Pilar, est un père aimant, mais discret et peu démonstratif. Il gère un restaurant à Bridgeport, où nous habitons tous le reste de l'année. A Ema, il a transmis ses cheveux noirs comme l'ébène. Quant à moi, j'ai presque la même couleur d'yeux que lui, sauf qu’il les a un tout petit peu plus verts. Malgré ses 40 ans, ses rides ne marquent pas beaucoup son visage. J'espère qu'il en sera de même pour moi.
Ma mère, Rosalina Pilar, est la douceur incarnée, même si ses rares colères sont terribles. Sur son visage commencent à apparaitre les traces des années, mais ses yeux verts continuent à briller avec malice. Sa peau, ses cheveux, son espièglerie, son temps, son amour... Ma mère m'a tout donné. Elle dit qu'elle ne regrette rien, que si tout avait été à refaire, elle le referait exactement de la même manière, car tout ce dont elle a besoin, c'est de ses enfants et de son mari.
Ma mère est incroyable. Mère au foyer, elle a aussi beaucoup aidé mon père au restaurant ; elle est infatigable.
A côté d'elle, Sandro regardait dans le vide. On peut dire qu'il est beau gosse, avec ses traits fins, ses yeux bleu clair, et ses cheveux noisettes et ondulés. Toutes les filles ont pris l’habitude de l'observer et de glousser quand il les regardent. C'est parfois agaçant, mais on est habitués. Bha oui, il n'est pas le seul à provoquer ce genre de comportement !
Bref, mon meilleur ami, qui est comme un frère pour moi, a aussi dix-huit ans. On ne part jamais en vacances sans lui, il fait parti de la famille depuis longtemps. C'est peut être pour ça qu'Ema et lui sont tombés amoureux.
Je crois que mes parents sont contents qu'ils sortent ensemble. Au moins, ils peuvent avoir confiance en Sandro. Moi, ça m'énerve. Sandro passe moins de temps avec moi et, en plus, j'ai peur de ne plus pouvoir l'inviter à la maison s'ils rompent. La galère quoi.
En parlant de l’impératrice Ema, elle est le membre de la famille le plus capricieux et le plus imprévisible. Mais ce jour-là, elle semblait heureuse, malgré mon intrusion dans sa chambre. Elle devait avoir oublier l'accident. Des lèvres charnues, des yeux bleu comme le ciel nocturne, un peau claire et rose... Tout rendait ma petite sœur adorable. Les mecs de notre lycées avaient tendance à se perdre dans ses prunelles et à bégayer quand elle leur adressait la parole. Et elle sait se servir de cet atout, croyez-moi.
Et moi dans tout ça ? Ben j'essaye de m’accommoder du mieux que je peux de ma famille, même si pour être honnête, je les aime tous. Et puis, ils sont toujours là pour moi alors... Comment pourrais-je ne pas faire quelques efforts ?
J'ai donc fini par m’asseoir et, inexorablement, cinq minutes plus tard... Le brouhaha régnait dans la salle à manger. Eh oui, c'est ma famille tout craché ça. Toujours en plein débat, toujours en train de se chamailler. Mais attention, les vraies disputes sont proscrites à table, ma mère s'en assure avec zèle.
Voilà comment commencent toujours nos journées tous ensemble. Par un bazar à réveiller les morts.
Ce jour-là, Maman taquinait Papa au sujet de son incapacité à monter un meuble. Quant à Ema, elle les écoutait en souriant et en lançant des clins d’œil amusés à Sandro. Elle semblait lui dire : "T'inquiètes, je suis sûre qu'il va bientôt lui envoyer l'une de ses propre faiblesses à la figure et partir bouder dans le salon."
Sandro semblait amusé et mal à l'aise tout à la fois. J'imagine que cela lui paraissait étrange d'assister à des scènes aussi intimes de notre famille. Enfin, il s'habituera.
Pendant ce temps, j'observai tout ce petit monde. Inconsciemment, j'étais déjà en train de mémoriser ce moment heureux, insouciant. Comme si je voulais ne jamais oublier cette journée d'hiver.
Mon père s'en ai aperçu et m'a lancé :
- Eh, fiston, tu n'es pas très bavard ce matin... Tout va bien ?
- Oui. C'est juste que je suis mal réveillé, ai-je dit.
C'était un demi-mensonge. Je n'avais pas envie d'étaler mes sentiments. Ou peut être ne m'étais-je pas encore rendu compte que je ressentais plein de choses en même temps.
- Ah, les ados... Toujours en train de se plaindre.
- Mal placée, M'man, lui ai-je répondu gentiment. C'est ce que tu fais.
- Un point pour Joshounet.
- Ema, arrête de m'appeler comme ça, ai-je rétorqué.
- Pourquoi me priver d'un tel plaisir ?
- Parce que je pourrais raconter certaines choses à Sandro...
- Ok, m'a-t-elle interrompu, j'arrête.
- C'est bon de gagner !
- Ah oui ? Tu ne perds rien pour attendre, Josh, le prévint Ema. Je te défie !
- A quoi ?
- Au babyfoot.
Et comme je ne peux pas refuser un défi, j'ai accepté de bonne grâce. Mon père et Sandro ont évidemment voulu se joindre à nous.
Après le petit déjeuner, nous sommes effectivement allés dans le garage et avons formé deux équipes : mon père et moi contre le joyeux couple.
- Sandro ! Concentre-toi, ils sont en train de gagner ! Et il est hors de question qu'on perde.
Ai-je précisé que ma sœur hait perdre ? Non ?
- Allons, petite sœur, tu sais bien que si tu perds, je n'en parlerai pas pendant des années... Seulement une dizaine de mois.
- C'est bien le problème.
Puis, je me suis concentré à nouveau sur le jeu. Inutile de préciser qu'ils ont perdu. Mon père et moi sommes imbattables, en ce qui concerne ce genre de jeux.
Et Sandro et Ema sont restés pétrifiés plusieurs secondes, jusqu'à ce qu'il entraine Ema hors de la pièce. Curieux, je les ai suivis.
Je me rappelle avoir croisé ma mère en chemin, elle lisait un livre de cuisine... Comme toujours.
- Qu'est-ce qu'il se passe, mon chéri ?
- Sandro et Ema se sont enfuis après leur défaite. Je vais voir où ils vont.
Et je les ai rapidement retrouvés.
Sandro avait trainé Ema jusque dans la neige, sans même prendre le temps de récupérer des manteaux.
Depuis la fenêtre de la salle à manger, on pouvait les voir s'embrasser ardemment. Voilà pourquoi je dis qu'ils s'aiment comme des fous. Il n'y a que des fous pour sortir sans vêtements épais par un jour de neige. Elle leur arrivait aux chevilles, et Ema ne portait qu'un legging.
Mais ils ne semblaient pas sentir le froid, ni même les flocons.
En les voyant ainsi, dans leur monde, je me suis surpris à éprouver encore de la jalousie. Je n'apprécie pas ce sentiment, souvent source de peine, ou pire, de haine. Mais elle s'est insinuée en moi comme le vent dans les branches des sapins de Sunset Valley.
Une question s'est imposée à moi.
Vivrai-je aussi cet amour-là ? Un amour sincère, profond, réciproque et surtout... Destructeur ?
A cet instant, j'en avais terriblement envie. Je voulais connaitre plus ce monde que je n'apercevais que vaguement, en fin de compte.
Troublé, j'ai rejoint mon père dans le salon. Il regardait un film.
- J'adore ce passage. Toi aussi, d'après mes souvenirs, non ?
- Si. Papa, il faut que je te pose une question.
Il a alors appuyé sur le bouton "Pause" de la télécommande.
- Vas-y, je t'écoute. Tu sais bien que tu peux tout me demander. Ou presque, ajouta mon père avec un clin d’œil complice.
- Lorsque tu avais mon âge, est-ce que tu... C'est vraiment gênant... Est-ce que tu étais amoureux ?
Il s'est mis à sourire doucement.
- Oui. Elle s'appelait Clara. Des reflets caramels dansaient dans ses cheveux... Ah ça, je l'aimais... Mais pourquoi cette question ?
- Rien... Enfin, je me demandais... Si c'était normal de ne pas avoir été amoureux à mon âge.
- Ces choses-là sont compliquées. Certains tombent amoureux à cinq ans pour la première fois, d'autres bien plus tard. Mais ça n'a pas d'importance. Le plus important, c'est d'être soi et de continuer à avancer.
Mon père parle rarement des choses de la vie, et j'ai été très étonné de ces paroles. Cependant, je les ai mémorisées.
- J'ai confiance en toi, mon fils, continua mon père. Je sais que tu feras les bons choix.
- Comment peux-tu en être aussi sûr ?
- C'est moi qui t'ai élevé, Josh. Les parents ne travaillent pas d'arrache-pied pour rien. Et ne te remets pas en question pendant des heures, la vie est trop courte pour ça.
Ema et Sandro ont débarqué dans le salon à ce moment précis. Ils avaient changé de tenues. Leurs autres vêtements étaient sûrement trempés. A tous les coups, ils avaient dû se laisser tomber dans la neige glacée...
Ema s'est assise dans le canapé, son petit copain dans le fauteuil, et elle s'est tournée vers moi.
- Eh, Josh, il faut que je te parle. Tu me suis ?
J'ai obtempéré, habitué aux caprices de ma sœur.
- Sandro, je reviens vite, ajouta Ema.
- T'inquiètes, je lis un bouquin que Rosalina m'a prêté. Prenez votre temps.
Nous sommes donc montés dans ma chambre.
A ma grande surprise, Ema vint se nicher dans mes bras.
- Eh, pourquoi ce câlin ?
- Parce que je vois bien que ce n'est pas facile pour toi en ce moment. Ta petite sœur accapare un peu trop ton meilleur ami, c'est ça ?
- Il y a un peu de ça mais... C'est surtout que je vous envie. Vous semblez tellement bien tous les deux. Je ne vis pas avec un, mais deux couples. C'est un peu pesant parfois.
- C'est pas aussi génial que ça a en l'air. A côté, il y a les disputes, les différends... Au lieu de nous envier, profite un peu. Aimer, c'est aussi perdre en liberté. Et puis, tu sais quoi ? Moi je t'aime, et ça, ça ne changera jamais.
J'ai resserré mon étreinte autour d'elle. En cet instant, elle ressemblait beaucoup à Maman.
- Moi aussi je t'aime, petite sœur. Et je suis désolé d'être rentré dans ta chambre sans frapper.
Elle recula.
- C'est tout oublié. Tu viens, on va jouer à la console du salon ?
- Pas tout de suite. J'ai besoin de réfléchir avant.
- Ok. Je te laisse alors.
Après son départ, je me suis allongé sur le lit. J'étais fatigué, tellement fatigué... Au moment où mes yeux se sont fermés, ma mère est rentrée dans la pièce sans frapper. Telle mère tel fils...
- Ben alors mon grand, qu'est-ce qu'il se passe ? Ton père m'a dit que ça n'allait pas fort.
- Rien M'man. Et puis j'ai passé l'âge d'être consolé.
Mais elle n'était pas de cet avis et s'est installée sur mon précieux lit.
- N'importe quoi. Je serai toujours là pour consoler mon fils quand il n'aura pas le moral et, comme c'est toi mon fils, tu accepteras toujours mon aide avec enthousiasme.
Voilà, ma mère venait juste de résumer en une phrase notre relation et son caractère.
- Maman, je n'ai plus cinq ans, tous mes problèmes n'ont plus leur propre solution... C'est plus compliqué, maintenant.
- Et c'est ça le plus dur quand on aime... Accepter de ne pas pouvoir soulager les autres. Mais cette fois-ci, d'après ce que m'a rapporté ton père, je vais peut être pouvoir t'aider.
- Comment ? En me présentant toutes les filles de la ville ? ai-je demandé, sarcastique.
- Non, je ne peux pas t'aider à trouver quelqu'un. Mais je peux te donner deux ou trois conseils, en tant que femme, pour garder près de toi celle que tu aimeras. Le jour où une femme te manquera au point de ne plus dormir, le jour où tu auras besoin de protéger une femme comme si ta propre vie en dépendait, alors ne la laisse pas partir, et couvre la d'attention. Parce que ce sera peut être la bonne. Parce qu'il y aura une chance infime que tu l'aimes pendant un long moment. Et ça, mon fils, ça n'a pas de prix.
- Est-ce que tu ressens ça pour Papa ?
- Si je n'éprouvais que ça pour ton père, ce serait inquiétant. Après des années de vie commune, les sentiments s'amplifient, deviennent plus solides et plus fragiles à la fois. Et c'est pour ça que je te dis tout ça. Pour que tu fasses tout ce qu'il faut pour en arriver là à ton tour. C'est tout ce que j'espère pour toi.
- Merci Maman pour tes conseils, mais j'ai peur qu'ils ne servent à rien.
- Tu trouveras quelqu'un. Tu es une personne forte, généreuse, déterminée et capable de bien des choses. Mais il faut te laisser du temps.
- Tu as raison. J'ai besoin d'air frais, ai-je dit en l'embrassant sur la joue. On se voit plus tard.
Je me suis alors levé, plein d'énergie et prêt à prouver au monde que ma vie ne serait pas vaine.
- Mais Josh, où vas-tu exactement ?
- Je vais de l'avant, M'man. On ne devient pas meilleur en un jour, alors autant s'y mettre de bonne heure.
Elle a alors souri. Et dans ses yeux, j'ai vu une lueur de fierté.
Mes pieds ont foulé l'escalier, puis le tapis de l'entrée. Je pouvais voir, dans le salon, mon père et Ema qui parlaient à voix basse pour ne pas déranger Sandro, toujours plongé dans sa lecture.
J'ai ensuite quitté la maison, puis le terrain, pour m'élancer vers le bord de la colline. Je ne sentais ni le froid, ni la neige, ni le soleil sur ma peau. Je ne voyais que devant moi.
Et j'étais heureux.
Je m'appelle Joshua Pilar, et j'ai dix-huit ans. Et un jour, j'aurai ma propre famille. A partir de là, je ferai tout pour la rendre heureuse.
Et croyez-moi, j'y arriverai.
Sunset Valley s'étalait maintenant devant mes yeux. C'était une belle journée ensoleillée, exactement comme je les aime.
Aussi était-ce une bonne journée pour prendre un nouveau départ et de nouvelles résolutions. Tout ça n'était possible que grâce à ma famille, et j'ai laissé le plus beau sentiment du monde m'envahir.
L'amour.
Plus tard, au coucher du soleil, je me suis rendu sur la plage principale de Sunset. Jamais je n'avais fait autant attention au paysage que ce jour-là.
Et je suis longtemps resté là, à contempler la beauté du crépuscule, bien enveloppé dans mon manteau. Je n'oublierai jamais cette soirée, ni le vent glacial qui me caressait affectueusement les joues, comme pour m'encourager.
A mon retour, tout le monde était dans le salon, occupé devant les émissions spéciales de fin d'année. Ema et Sandro avaient remis les vêtements qu'ils avaient portés le matin-même.
Voilà, ces gens forment ma famille. Et ça me convient parfaitement.
*****
Joshua revint au présent. Il avait désormais vingt-huit ans, ses parents et Ema ne vivaient plus. Mais il avait tout de même beaucoup de chance, parce qu'il était marié et avait une petite fille. Et aussi...
Il avait plein de souvenirs.
Le feu qui crépitait dans le salon était entretenu par son père et lui, et personne d'autre.
Le somptueux sapin juste à côté, ils l'avaient décoré tous ensemble, dès leur arrivée à Sunset. Ils s'étaient même disputé au sujet du choix des guirlandes.
La table recouverte d'une nappe aux motifs de Noël et où trônaient déjà des cadeaux décoratifs avait été préparée par Rosalina.
La chambre d'adolescente d'Ema, où elle passait son temps sur Internet pour parler avec ses copines.
La chambre conjugale, évidemment décorée par Rosalina, et qui reflétait bien son caractère, d'ailleurs.
Et enfin, Joshua se souvenait très bien d'à quel point il aimait passer du temps avec eux, d'à quel point il avait aimé sa famille disparue...
Et cet amour, lui, se dit-il pour se rassurer, ne disparaitrait jamais.
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